En tant que propriétaire d’une compagnie de thés, j’ai tout avantage à partager avec vous les innombrables façons de consommer le thé. C’est sans doute pour des raisons similaires que, depuis quelques temps, on parle de plus en plus des accords thés et mets. On trouve des informations de tout genre sur le sujet, et des propositions parfois douteuses. Un thé chaud avec des tacos? Un Earl Grey avec un ragoût de mouton? Rien n’est interdit, soit, mais pourquoi donc faire une telle chose? Un accord possible n’est pas forcément un accord nécessaire.
Le thé peut facilement s’accorder avec différents types de plats. On ne doit pas se limiter à l’idée la plus simpliste selon laquelle on sert seulement le thé avec un plat très doux; il ne faut pas non plus se casser la tête à créer des harmonies complexes au point de gâcher le plaisir lié à la dégustation. En suivant quelques règles simples, il est toutefois possible de réaliser des accords mets et thés sans trop de tracas.
On confond souvent le goût et la saveur, mais ce sont pourtant deux choses bien différentes. Ce que l’on perçoit par notre langue (le goût) est sensiblement limité en comparaison avec ce que l’on perçoit par notre nez (la saveur). Au moment de prévoir nos accords, il faut garder en tête que le thé, malgré sa palette très diversifiée de saveurs, possède en fait un goût amer (au même titre que les herbes en cuisine) et que son amertume n’a rien de désagréable, au contraire. Le cumin, le thym et l’origan présentent aussi des composantes amères légères et on les utilise abondamment en cuisine afin de balancer certaines recettes. On ne peut imaginer une sauce à spaghetti acide, sucrée, salée avec une note d’umami sans l’amertume de l’origan ou du basilic.
Si l’on prend en considération l’équilibre des goûts, les accords thés et mets deviennent plus facile. Puisque le sucré et l’amer s’équilibrent, on associe souvent le thé avec les desserts. Cela dit, en se basant sur le principe d’accorder les goûts ensemble – et non pas accorder les millions de saveurs existantes – le thé peut aussi facilement se marier à des plats aromatiques, à des plats sucrés ou bien à des plats plus goûteux.
On estime qu’il y a environ plus de 5000 variétés de thés sur la planète, chacune possédant un profil de saveur unique. Au moment de faire les accords thés et mets, il faut donc réfléchir au profil de saveur de notre thé : est-ce un thé aromatique et floral? Terreux et plus corsé? Végétal et citronné?
Prenons par exemple le Earl Grey, qui est un thé aux arômes floraux et légèrement citronnés. Si l’on accorde le Earl Grey avec un gâteau au citron, les saveurs trop similaires dans ce cas-ci annulent la notion d’équilibre. Prenons en revanche le même gâteau au citron en dégustant une bonne tasse d’un thé vert taiwanais, et on obtient un équilibre parfait entre le parfum citronné du gâteau et le côté végétal du thé.
À mon humble avis, la texture du thé est un sujet auquel on devrait s’intéresser un peu plus. Au moment de l’infusion, un thé ne libère pas seulement une saveur, mais il modifie également la texture de l’eau, qui devient bien plus dense. Certains thés comme le Zhu Ye Qing laissent une sensation de sécheresse sur la langue. On catégorise ainsi ce type de thé comme des thés astringents. À l’opposé, certains thés comme le Si ji chun, laisse une sensation de salive sur la langue ce que l’on peut qualifier comme étant crémeux.
Prenez par exemple un thé assez astringent, comme le Hojicha japonais. C’est un thé au parfum grillé et délicat, qui peut présenter un côté très sec en bouche; il se marie à merveille avec les plats et desserts à base de crème. Pouquoi? Les contraires s’attirent, tout simplement.
Un autre bon exemple est le mariage entre des prunes au sirop et d’un thé pu erh. Le goût extrêmement sucré des prunes allié à la consistance épaisse du sirop forme un contraste parfait avec la texture plus terreuse et crémeuse de certains Pu erhs âgés comme le Gong Ting. En variant les textures et en misant sur les contrastes, il est possible de créer une très grande variété de mariages heureux.
Toutes ces règles sont bien intéressantes, mais au final, je ne suis pas la personne qui cuisine votre repas ou qui prépare votre thé (même si je décline rarement une invitation!), vous êtes donc la seule personne qui devrait avoir un mot à dire sur le choix du thé que vous allez servir avec tel ou tel plat. Un Genmaicha avec des rôties au déjeuner? Un peu trop sec à mon goût, mais si cela vous plaît, c’est tant mieux! Après tout ce sont vos papilles, amusez-vous!
Marika de Vienne a littéralement grandi dans le service de traiteur opérés par ses parents, où elle a rapidement développé un intérêt pour la cuisine aux épices et le service. Elle s’est plus tard impliquée dans l’ouverture de la boutique familiale du marché Jean-Talon, avant d’aller passer quelques années en Chine pour approfondir ses connaissances sur le thé. C’est elle qui s’occupe aujourd’hui de tout ce qui concerne le thé chez Épices de cru, de la visite des jardins jusqu’à la mise en marché. Marika a un fort penchant pour les thés oolongs, la cardamome verte et les saveurs de la cuisine du sud des États-Unis.